VSD n°1397 du 3 au 25 juin 2004

 

"Garou, dans l'intimité d'un monstre sacré"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A 32 ans, le môme de Sherbrooke, au Québec, est devenu l'un des artistes francophones les plus populaires au monde. Nous l'avons suivi dans sa tournée triomphale en Russie. Instants privés avec un amoureux de la vie.

André Rau / H&KTout a commencé dans un bar. Aujourd'hui Garou fréquente beaucoup moins les comptoirs que durant ses années de galère où il viviat la nuit, son "corps a beaucoup souffert et continue à souffrir", nous confie-t-il. C'est pourtant dans un bar perdu du Québec que Luc Plamondon l'a repéré.

L’histoire, entre larmes et rires, d’un garçon simple qui ne peut plus échapper à son destin: conquérir le monde avec sa voix d’or

Quand ce diable de Québécois a mis pour la première fois de sa vie les pieds en Russie, la «garou­mania» a aussitôt déferlé sur la place Rouge, qu’il arpente sourire aux lèvres et sans lunettes noires. Recordman de ventes de disques avec «Seul» et «Reviens» (trois millions d’albums vendus), audiences télé pulvérisées, duos déjà quasi mythiques avec Céline Dion ou Michel Sardou, l’ex-bossu de Notre-Dame de Paris triomphe au pays des Soviets où il est devenu une véritable star, au même titre que Patricia Kaas ou Charles Aznavour. Deux concerts pleins à craquer au cours desquels il déclenche l’hystérie Moscou, 5000 spectateurs en plein coeur du Kremlin, sous les fenêtres de Vladimir Poutine ; Saint-Pétersbourg, 9000 fans dans une gigantesque aréna. Avant d’entamer cette semaine des tournées en Pologne et en République tchèque, puis de parcourir toute la France jusqu’ au 19 décembre.

Ses fans russes apprennent par coeur ses tubes et les chantent phonétiquement

StarfaceGarou, lui, est euphorique «Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu un tel feeling. Je ne savais pas très bien où j’allais en venant à Moscou. Ça fait drôle de voir les Russes chanter mes chansons phonétiquement, s’amuse-t-il. Gitan, ils la connaissent par coeur, mais je vois bien qu’ils ne disent pas les bons mots !» Un succès dû en grande partie à l’industrie du disque pirate, véritable fléau en Russie. Mais Garou ne semble guère se formaliser de cet important manque à gagner (on estime que neuf disques sur dix vendus dans ce pays sont des copies) «les albums ne sont que des cartes de visite qui permettent ensuite de faire des concerts. Et ma performance sur scène, personne ne peut la pirater J’adore me livrer au public», répète de manière paradoxale cet agoraphobe. « Si je suis coincé dans la foule, je panique. J’ai toujours été comme ça. C’est peut-être pour ça que je fais ce métier, j’arrive au moins à avoir un espace vital sur scène. Quand j’allais dans les bars, il fallait toujours que je sois dans un coin. » C’était pendant ses années de galère, de cette vie d’avant, «mal balancée, avec des horaires de bric-à-brac», où l’on « dort très peu, où l’on mange très mal». Des bars où il ne va plus, ou de moins en moins, même ici à Moscou «Ça devient difficile », lâche-t-il. Parano, Garou? «Oui,là, un peu quand même... Les gens vont croire que je me la joue parce que j’ai trois gardes du corps. Mais je n’ai pas envie de me la jouer.» Les paparazzis? «Pourquoi veut-on m’enlever la toute petite partie devie privée qu’il me reste? » Le National Enquirer, un tabloïd américain, lui a même prêté, ily a deux ans, une liaison avec Stéphanie de Monaco, à l’issue d’un concert à Genève.
«C’est une fille bien sympa, mais il n’y a rien entre nous», rigole-t-il.P. DUTOIT Comme il dément tout aussi amusé, la dernière conquête en date que la presse people lui attribue, la chanteuse Natasha St-Pier. « Mais je la connais depuis son enfance! Ce serait presque de l’inceste, sj j’avais une histoire sentimentale avec elle. C’est ma petite soeur, c’est mon pote, on se dit tout. Moi,j’ai trouvé très drôle de découvrir ces photos volées, elle, un peu moins, car elle vit une très belle relation avec quelqu’un. Je suis tellement discret dans mes aventures qu’on m’en invente, c’est plus simple...» D’ailleurs, reconnaît-il sur le ton de la confidence, « en ce moment je tombe facilement amoureux. J’aime les femmes mystérieuses,celles que je n’arrive pas à capter. Elles m’atti­rent irrésistiblement. Je suis un éternel roman­tique». Est-il aujourd’hui célibataire? «Oui, tu peux l’écrire Garou est à nouveau un coeur à prendre», proclame-t-il derrière une vodka, ne dissimulant rien de sa rupture consommée avec le top model suédois Ulrika, la mère de sa fille Emelie. « Nous restons amis, il y a trois semaines, je suis parti en vacances avec elle et notre fille, à Los Angeles et à Las Vegas. Ça s’est merveilleusement bien passé. On continue de s’appeler tous les jours. Je veux être un père normal, même si je suis souvent absent.» Et les admiratrices qui tournent autour de lui? « J’ai un peu de difficulté avec ça. J’essaie de calmer le jeu. J’ai surtout envie qu’on reconnaisse l’artiste qui offie larmes, sourires et émotions.»

Une incroyable énergie doublée d'un optimisme à toute épreuve

Garou et l'Esmeralda RusseA elle seule, l’histoire de Garou est une incroyable aventure de larmes, de sourires et d’émotions. Celle d’un certain Pierre Garand, noctambule rebelle, écumant les bars les plus reculés de la Belle Province avec son groupe, The Untouchables, jusqu’à sarencontre avec un client pas comme les autres, assis un soir dans un coin de la salle enfumée Luc Plamondon, le père de Starmania et de Notre-Dame de Paris. Au Québec, les histoires ressemblent toujours un peu à des contes de fées, On connaît déjà celui de la petite fille de la ville de Charlemagne devenue Céline Dion, mythe planétaire, et de son prince charmant, René Angélil il y a aujourd’hui l’extraordinaire destin, écrit ou programmé, du petit garss de Sherbrooke, alias Garou, qui rêvait, enfant, d’être archéologue, par curiosité des autres.
Emporté par le succès, le bossu de Notre-Dame n’est jamais redescendu du sommet de l’affiche. Aujourd’hui, en tête des hit-parades, l’ex-Quasimodo parcourt le monde sourire aux lèvres. « Je n’ai jamais demandé ce qui m’arrive,je n’ai jamais eu soif de popularité», confie cet autodidacte qui, il y a quelques années, chantait encore dans les couloirs du métro de Montréal. « J’ai toujours tout fait spontanément, mais dans le désordre. J’ai appris les chansons sur scène. Etje n’ai pas envie de changer la recette. Je crois que les gens aiment cette fraîcheur-là.» Il parle en rafales. Ce qui frappe d’emblée, à chaque fois qu’on le rencontre, c’est bien cette incroyable énergie, mais aussi ce regard très bleu de séducteur. « Je n’aime pas beaucoup projeter cette image de séducteur, j’ai surtout envie de vivre des relations normales», raconte Garou en tirant sur une de ses cigarettes québécoises qui ne le quittent jamais, au bar de l’hôtel National,en plein coeur de Moscou. On cherchera en vain des blessures profondes chez cet irréductible optimiste. «Il doit bien y avoir quelques chagrins amoureux, murmure-t-il. En fait, tout ce
qui m’arrive de négatif je crois que je réussis à l’exorciser et à en faire du positif. Par exemple, il y a une dizaire d’années au Québec, j’ai perdu une de mes grandes amies dans des conditions épouvantables. Depuis, j’ai surmonté ce chagrin et cette femme est devenue mon ange gardien. Il n’y a pas un spectacle sur scène où je ne pense à elle. ..»
Sherbrooke, la ville où Garou est né le 26 juin 1972, ressemble à une grande banlieue de quatre-vingt mille habitants, sans charme particulier, pas très loin de Montréal et à proximité de la frontière américaine. Pour sortir de cette cité obscure, il lui a fallu un sacré coup du sort. Son regard brille «Mais ça fait des années que je fais partie du décor! Là-bas sont mes amis. Je m’y sens bien quand j’y reviens, on ne m’y embête pas. Je m’émerveille encore de tout et je garderai toujours ma fierté d’être sherbrookois.»
Que reste-t-il de Pierre Garand? « Un compte en banque vide à la Caisse populaire Desjardins, réplique-t-il, fier de sa repartie de grand gosse. Je n’ai jamais eu le sens de l’argent. Quand j’ai commencé à gagner des sous, je jouais tout sur les machines à poker.
Je continue à être comme ça. Quand j’ai du fric, je le dépense en restos, on fait des grandes tables où j’invite tout le monde. Le compte en banque le plus intéressant s’appelle maintenant Garou Inc.»
La nouvelle poule aux oeufs d’or de Sony avale désormais les kilomètres d’une tournée triomphale, de la Russie au Liban, et plante les refrains de sa voix éraillée dans les sillons dorés que le providentiel René Angélil creuse pour lui. Sous la houlette du mari de Céline Dion, voilà Garou au centre d’un enjeu marketing aux dimensions universelles. «Au début ça m’a fait peur de devenir un produit, d’être dans un mensonge. René, c est "renard"! Nous avons beaucoup d’atomes crochus. Mais je reste un rebelle et je sais que les choses ne seront pas ainsi. De toute façon, c’était impossible de refuser une pareille proposition,» La poignée de main providentielle a eu lieu peu après minuit le 1er janvier 2000 à Montréal, à l’issue du mégaconcert du Millénaire donné par la reine Céline au Centre Molson, le temple du hockey canadien. « René, au début avec le premier album, a cherché un peu à m’imposer des trucs. Finalement, il a compris que Garou est une espèce d’animal qu’il faut laisser aller,» Lui-même a su imposer à René ses potes de Sherbrooke, avec lesquels il a connu les années de galère Hugo est son garde du corps, Francis son directeur de tournée, Dany son saxophoniste... «J’ai besoin d’eux pour mon équilibre, assure-t-il.
Avec eux je garde les pieds sur terre.» Et il y a bien sûr Mario Lefebvre, les beautés-locales, mannequinsson manager, son ombre, qui a l’oeil et l’oreille à tout. Son colonel Parker.
Programmé désormais, telle une fusée, pour une carrière planétaire, à l’égale de celle de Céline, Garou n’échappera évidemment pas au disque en anglais, l’année prochaine, pour prendre d’assaut le marché anglophone. «C’était prévu dès le départ par René », reconnaît Garou. Certains titres sont déjà enregistrés, dont un nouveau duo avec Céline Dion qui devrait faire un malheur, autant que Sous le vent. Angélil rêve de voir son protégé devenir le nouveau Sinatra. Et beaucoup prophétisent qu’il pourrait bien y parvenir. «Si tu penses que tu as travaillé, tu n’as encore rien vu», lui a récemment glissé Céline. Parole de star. En orbite autour de la Terre, Garou est un phénomène qui semble désormais échapper à tout, mais certainement pas à son destin.. à Moscou, Arnaud Bédat