L'illustré n°8. 20 Février 2002

Par Arnaud Bédat et Philippe Dutoit (photos)

«Je ne veux pas être une star»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Recordman absolu des ventes de disques avec «Seul», des salles bourrées à craquer, ce diable de Québécois triomphe partout où il va. Il débarque cette semaine en Suisse romande, où il compte s’établir bientôt, pour trois concerts exceptionnels. L’illustré l’a suivi dans les coulisses de sa nouvelle tournée triomphale. Backstage exclusif.

Mais comment fait-il donc, ce diable de Québécois? Redescendu du clocher de Notre-Dame de Paris, l’ex-bossu apparaît aujourd’hui sur scène et déclenche l’hystérie à chacune de ses apparitions. Un passage à la télé, et l’audimat galope vers les records. Un disque, et c’est la ruée vers l’or, le platine puis le diamant. En orbite, Garou est un phénomène qui semble désormais échapper à tout, mais certainement pas à son destin. Céline Dion lui a récemment glissé à l’oreille: «Si tu penses que tu as travaillé, tu n’as encore rien vu.» Parole de grande dame. On l’avait quitté il y a une année, dans les brumes glaciales de l’hiver canadien. Seul commençait à cartonner dans les charts et son interprète venait de signer un contrat en or avec René Angelil, «l’homme qui a fait Céline Dion». On le retrouve aujourd’hui à Lyon, dans les coulisses de la salle Tony-Garnier, fidèle à lui-même, malgré un service de sécurité digne d’une rock star: «Ce que je veux, c’est que les choses restent vraies, que je me sente bien. J’avais peur au début, oui, se souvient-il, car je veux tout contrôler, je veux tout savoir. Je ne veux pas gagner à tout prix. Je ne veux pas vendre des albums à tout prix. Je ne veux pas être une vedette à tout prix.» A quelques mètres de sa loge, son équipe et ses musiciens sont aux anges. Ce sont ses chums, les camarades d’hier, ceux des temps de galère. «Garou n’est pas diva pour deux sous», relève d’entrée Guy, le staff manager. «On le voit moins souvent, mais c’est la même énergie, il n’a pas changé», insiste son vieux pote Dany le saxophoniste, qui fut un des rares témoins de la rencontre désormais légendaire entre Luc Plamondon et Garou, un soir, dans la salle de concert enfumée d’un bar de Sherbrooke.

«C’est un crooner, c’est le meilleur, l’égal de Sinatra ou de Ray Charles», souligne admirative Elise, l’une de ses deux choristes, tandis que Rogers, le trompettiste que rien ne distrait, s’amuse de ses dernières performances sur sa PlayStation. «Je suis bien entouré, rien que le meilleur, s’enflamme à son tour Garou, je suis avec l’équipe de Céline! Ils arrivent dans les salles, pour eux, c’est tout petit! Bercy? Oh, c’est pas le stade de France! Ça replace bien les choses» Que reste-t-il d’un certain Pierre Garand, l’enfant de Sherbrooke né le 26 juin 1972? «Un compte en banque vide à la Caisse populaire Desjardins, réplique-t-il en un éclair, fier de sa répartie comme un grand gosse. Je n’ai jamais eu le sens de l’argent. Quand j’ai commencé à faire des sous, je jouais tout sur les machines à poker. Je continue à être comme ça. Quand j’ai du fric, je m’amuse. Je le dépense beaucoup en restos, on fait des grandes tables où j’invite tout le monde. Le compte en banque le plus intéressant s’appelle maintenant Garou Inc.!» Il rigole et vous fixe de ce regard très bleu qui fait s’effondrer des parterres entiers de midinettes.

Des fans qui, dehors, attendent patiemment sur le pavé pour être sûrs d’être à l’heure pile devant la scène, le plus près possible. Certains sont arrivés le matin déjà. «Avant, lors des spectacles, c’était souvent la plus grosse carte de crédit qui était devant. Là, maintenant, il n’y a plus de catégories. Ça se mélange, tout le monde est dans l’action.» Il aime ça, Garou. «J’adore les gens, j’adore me livrer au public», répète-t-il de manière presque contradictoire, car il est agoraphobe: «Oui, c’est vrai. Si je suis coincé dans la foule, je panique. J’ai toujours été comme ça. C’est peut-être pour ça que je fais ce métier-là, j’arrive au moins à avoir un espace vital sur scène. Quand j’allais dans les bars, il fallait toujours que je sois dans un coin.» Les bars de ses années galère, de cette vie d’avant «mal balancée avec des horaires à bric-à-brac», où l’on «dort très peu, où l’on mange très mal»: «Mon corps a beaucoup souffert et continue à souffrir. Mais je me suis un peu assagi», raconte-t-il. Des bars où il ne va plus ou de moins en moins: «Ça devient difficile», lâche-t-il. Parano, Garou? «Oui, là, un peu quand même… Je ne sors jamais, sauf lorsque je voyage. Il y a peu, je suis allé à la Barbade, le week-end dernier, j’étais à Londres, ça me plaisait, personne m’embêtait. Mais ce n’est pas simple. On se dit toujours: les gens vont croire que je me la joue parce que j’ai trois gardes du corps qui sont là. Mais je n’ai pas envie de me la jouer…» Les paparazzis? «Je n’aime tellement pas ça. Pourquoi on veut m’enlever la toute petite partie de vie privée qu’il me reste?» Car Garou, aujourd’hui, est un homme amoureux. «Amoureux grave», rectifie-t-il. Il se mordille les doigts. Deux femmes partagent sa vie: la première s’appelle Ulrika, un splendide mannequin suédois.La seconde, c’est Emily, 6 mois et demi: «J’ai toujours aimé les enfants Je suis complètement gâteux. Je suis le premier à me mettre à genoux, à me rouler par terre. Mais là, le sentiment que c’est ton enfant à toi, c’est incomparable. C’est son odeur qui me fait le plus flipper. Je rentre à la maison, j’ai hâte qu’elle se réveille.» Ses seuls hobbies, il les consacre aujourd’hui à sa famille et aux soirées télé: «Je suis un maniaque de pop-corn devant l’écran.»En dehors de la scène et des studios, la nouvelle poule aux œufs d’or de chez Sony aspire au bonheur simple et à la tranquillité, loin des foules. Le rebelle veut rester un homme libre. «J’irai à la mi-avril passer une semaine en Suisse pour visiter des maisons. J’y pense, j’y pense de plus en plus. En Suisse, on te fiche la paix! Le lac, les montagnes, ça ressemble étrangement à la Suède et au Québec. La Suisse, ce serait un bon compromis, un juste milieu. Et je ne serais pas très loin de la France. J’aimerais vivre dans une maison perdue dans les montagnes.» Garou compte un de ses meilleurs amis dans les Alpes vaudoises, Québécois pur sucre d’érable comme lui: Jacques Villeneuve, le champion du monde de formule 1. Il rigole, une fois encore: «Vous pouvez passer une annonce, je cherche une maison en Suisse et une nounou pour ma fille!» On peut écrire à la rédaction qui transmettra. Garou va sortir de sa cage dorée pour redevenir le rebelle qu’il a toujours été.